Mémoire de l’abolition de l’esclavage, Mémoire des victimes de l’esclavage

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En France hexagonale, deux dates commémorent l’esclavage.

Le 10 mai est la date de commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage, fixée par le décret du 31 mars 2006sur proposition du Comité pour la mémoire de l’esclavage, en référence à la date d’adoption de la loi Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. La première cérémonie se déroula le 10 mai 2006 à Paris.

Le 23 mai rend hommage aux victimes de l’esclavage depuis 1998. La circulaire du 29 avril 2008, signé par le premier ministre, officialise cette commémoration organisée par les associations d’originaires d’outre-mer, dont le CM98 en est le maître d’œuvre. Cette date rappelle le premier jour d’émancipation en Martinique et la marche silencieuse à Paris de 40 000 descendants d’esclaves antillais, guyanais et réunionnais honorant leurs aïeux lors des 150 ans de l’abolition de l’esclavage.

Pourquoi deux dates de commémoration, alors que la loi Taubira de 2001 n’en prévoit qu’une sur le territoire hexagonal ?

Deux dates pour deux mémoires

Le 10 mai est l’expression de la mémoire républicaine de l’esclavage. Cette mémoire est celle de l’abolition de l’esclavage et de la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que  crime contre l’Humanité. En commémorant l’abolition de l’esclavage, la République française détermine une politique mémorielle qui vise à unir les Français qu’ils soient descendants d’esclaves ou pas, indépendantistes ou républicains, autour des principes fondateurs de la République qui, appliqués aux colonies à esclaves en 1848, aboutirent à l’abolition immédiate de l’esclavage et à la citoyenneté des anciens esclaves. Si l’esclavage colonial a été une pratique de la Royauté française depuis Louis XIII, la République, que ce soit la première ou la deuxième, a systématiquement abolit l’esclavage colonial; les deux mesures phares de la deuxième République étant l’abolition de l’esclavage colonial et l’avènement du suffrage universel masculin. En célébrant l’abolition de l’esclavage, la République ambitionne  d’attacher indéfectiblement les descendants d’esclaves à la Nation française qui a aboli l’esclavage. En 1998, lors du cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage, elle s’attache à montrer aux Français originaires des ses anciennes colonies qu’elle a les ressources idéologiques pour les intégrer. L’adoption de la loi Taubira reconnaissant la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité en 2001 confirme les valeurs d’égalité et de justice de la République.

Par contre, le 23 mai est l’expression de la mémoire des descendants d’esclaves qui considèrent qu’il est important pour eux d’honorer spécifiquement la mémoire des victimes de l’esclavage. En célébrant cette mémoire,  ils honorent leurs aïeux esclaves dont ils ignoraient ou ignorent encore l’existence, réparent la rupture d’affiliation et le trouble identitaire qui en découle. C’est en 1998, qu’ils leur rendirent hommage pour la première fois ! Il furent 40 000 à marcher silencieusement à Paris, de la place de la République à celle de la Nation, avec émotion et fierté. Tous étaient convaincus avoir rendu à leurs aïeux leur humanité en les sortant de l’oubli. Le 23 mai pour le descendant d’esclave est un temps de respect pour ses aïeux et de reconnaissance de leur martyr par les protagonistes de cette tragique histoire : la République, l’église catholique, les descendants de colons, et les descendants de négriers. Les cérémonies républicaines et religieuses, la manifestation mémorielle et culturelle Limyè ba Yo qui ont lieu ce jour-là, répondent à ce besoin de reconnaissance, de réhabilitation et de valorisation de la mémoire de leurs aïeux, victimes de l’esclavage.

Les originaires d’Outre-mer qui refusaient de commémorer l’abolition de l’esclavage, estimant que la République s’auto encensait, acceptent de célébrer la République abolitionniste depuis l’officialisation du 23 mai par le premier ministre Fillon.

Une date manquait à l’évidence, celle dédiée aux descendants des victimes de l’esclavage. Les gouvernements précédents ont pendant longtemps sous-estimé l’importance des stigmates de l’esclavage dans les départements d’Outre-mer. Ils ont longtemps pensé pouvoir contenir les ressentiments tenaces à l’encontre de la France, en rappelant l’œuvre abolitionniste et humaniste de la République. La reconnaissance et le respect de la mémoire des victimes de l’esclavage nécessitait une date de commémoration spécifique. C’est fait en partie. La reconnaissance du 23 mai par la circulaire du 29 avril doit cette année être confirmée par un décret. Le président de la République y est favorable …Affaire à suivre !

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